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4 min de lecture La Chronique

C'est encore moi qui décide! - avoir un plan clair pour garder le contrôle

C'est encore moi qui décide! - avoir un plan clair pour garder le contrôle

« Quand ça compte vraiment, il n'y a plus de place pour le doute ! » C'est ce que j'ai pu entendre plusieurs fois au cours de ma carrière de joueur de badminton. J'ai eu tendance à acquiescer sans trop réfléchir, mais… que signifie vraiment cette expression ?

Même au plus haut niveau, il arrive que le doute s'invite, en particulier dans les moments décisifs. Je l'ai vécu beaucoup de fois sur le terrain : ces instants où chaque coup compte, et où un mauvais choix ou une mauvaise exécution peut coûter très cher. Dans le meilleur des cas, je parviens à me dire que « ça arrive ! », et je passe rapidement à autre chose. Mais d'autres fois, c'est une autre réflexion qui m'envahit : « comment j'arrive à rater ça ? ». Au lieu de rester concentré sur la suite, je rumine une erreur passée, je commence à douter du destin et de mes capacités. En psychologie du sport, ce moment correspond à une rupture avec l'ici et maintenant, ce qui empêche une personne de se concentrer pleinement sur les éléments pertinents dans le présent. Si, dans les points suivants, je commets une erreur similaire à la première, ce doute s'accentue… comme si j'avais perdu mes armes, comme si je ne savais plus quoi faire pour marquer un point. Ce ressenti affecte ma performance, puisque je n'ose plus rien entreprendre par crainte de faire « encore » un mauvais choix. Ces hésitations répétées provoquent chez moi un style de jeu beaucoup plus passif. Je ne joue plus pour marquer le point, mais pour ne pas le perdre.

Les baisses de performance sous pression sont un phénomène répandu. Des recherches récentes montrent que même des athlètes de légende comme Michael Jordan voient leurs performances baisser sous pression. Van Yperen (2024) propose même un changement de perspective : plutôt que d'éliminer les effets du stress, l'objectif réaliste serait de limiter au maximum les pertes de performance. Cette idée récente s'appuie sur un modèle classique (Yerkes & Dodson, 1908), qui dit que si la pression ressentie dépasse un certain seuil, la performance est négativement impactée. Toutefois, ce seuil varie d'un(e) athlète à l'autre, et la perception de la pression dépend aussi beaucoup de la situation et de la sensibilité personnelle. En d'autres termes, certains athlètes résistent à plus de pression que d'autres, et les éléments stressants pour un(e) athlète ne le sont pas forcément pour un(e) autre.

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Entre janvier et juin 2023, j'ai eu l'occasion de repenser complètement mon approche tactique du badminton, dans le cadre d'un mandat professionnel. J'ai regroupé tous les coups et anticipations du badminton en cinq intentions de jeu. Cinq catégories claires et faciles à appliquer. Ce système m'a énormément aidé à comprendre mon propre jeu et celui des autres. Aussi, il a structuré les différentes possibilités de coups et de mouvements qui existent dans mon sport. Concrètement, j'ai compris que dans une certaine situation, il n'y a pas qu'une seule possibilité d'action, mais une multitude qui sont toutes « bonnes » !

Cependant… ce système des cinq intentions m'a surtout été utile pour un aspect plus surprenant. Il représente maintenant pour moi un outil mental puissant pour les moments de pression.

Aujourd'hui, dans un moment clé du match sous haute tension, je choisis, très consciemment, une certaine intention de jeu et je m'y tiens. Cette démarche toute simple est ce qui a fait chez moi toute la différence. Si je gagne le point, je sais pourquoi. Du moins je crois savoir pourquoi. Si je le perds, je me dis simplement : « ce n'était pas la bonne intention de jeu ». J'irai même plus loin, je me dis que « je n'ai pas encore trouvé la bonne intention de jeu ». Autrement dit, ce n'est pas moi qui suis mauvais, mais le choix qui n'était pas (encore) le bon. Ainsi, lors du point suivant, j'en choisis une autre, très consciemment. Bien sûr, cette recette n'est pas miraculeuse pour remporter chaque échange, mais pourtant... qu'est-ce qu'elle m'a aidé !

Ce changement m'a redonné une chose essentielle : la sensation de contrôle. Ce que j'ai mis en place s'aligne avec un concept psychologique de locus de contrôle de type interne (Rotter, 1966). Il représente la croyance que nos actions influencent directement les résultats, contrairement au locus externe, où l'on pense que tout dépend du hasard, de l'adversaire, ou de la malchance. À ce propos, Otten (2009) confirme que le contrôle perçu par un athlète fait toute la différence dans une situation de pression. De plus, il donne un sentiment de responsabilité sur l'action, qui est per se un sentiment positif. En fait, je ne joue maintenant plus par panique dans les moments clés, mais je joue consciemment en suivant un plan clair.

J'ai récemment partagé cette approche avec un ami joueur de tennis. Quelques jours plus tard, il m'envoie un message vocal pour me dire qu'il avait utilisé ce système pour jouer contre l'un des meilleurs joueurs de la région qu'il n'avait jamais battu auparavant. Il dit avoir fait « un match de dingue », et a même remporté le tournoi dans la foulée.

Alors… était-ce grâce à la tactique ? Ou simplement parce qu'il avait repris le contrôle de son jeu ? Peu importe, au fond. Ce que je retiens, c'est que lorsque l'on fait consciemment des choix, surtout sous pression, on conserve sa capacité à décider, donc à performer.